Sur 100.000 naissances, 101 femmes meurent à Sédhiou, dans le sud du Sénégal, selon les chiffres actuels de l’hôpital régional de Ziguinchor, dans la région de Casamance. Mais, dans les communautés rurales de cette région, comme Mlomp, Niakhar et Bandafassi, plus de 400 femmes décèdent pour 100.000 naissances.
Le taux de mortalité maternelle, dans cette région méridionale du Sénégal est donc instable et inquiétant tout comme les chiffres du ministère de la Santé. Au Sénégal, sur 100.000 femmes qui accouchent, 401 décèdent. Pourtant, les structures sanitaires multiplient des actions en vue de réduire le taux de mortalité maternelle dans ce pays d’Afrique de l’ouest, selon le ministère.
Dr Kalidou Konté, médecin chef de l’hôpital de Sédhiou, reconnaît que la sensibilisation des femmes et des maris – sur les risques d’accouchement à domicile et sur les avantages des visites prénatales auprès des structures de santé – ne change rien dans le comportement des populations.
«Tant que les femmes vont continuer à privilégier l’accouchement à domicile, à refuser de fréquenter les structures de santé avant l’accouchement, la lutte contre la mortalité maternelle restera sans effets positifs», déclare-t-il, très déçu à IPS.
Selon Konté, les accoucheuses traditionnelles font toujours la loi dans les localités du sud du Sénégal. «Les gens ici font toujours appel aux accoucheuses traditionnelles, ce qui n’encourage pas les femmes à faire des visites prénatales. S’il y a aussi trop de décès maternels, c’est parce que les filles deviennent mères trop jeunes. Le plus souvent, elles ont entre 12 et 15 ans», explique-t-il.
Après une visite dans les trois communautés rurales, IPS a constaté qu’elles sont desservies par des dispensaires tenus par des infirmiers. Il y a deux infirmiers à Bandafassi, deux à Mlomp et quatre à Niakhar. Le dispensaire de Mlomp, tenu par la soeur infirmière catholique, Rita Bassène, dispose de 14 lits d’hospitalisation, d’un petit laboratoire un peu délabré et d’une salle de consultation.
Soeur Bassène explique que la mort maternelle se définit comme le décès d’une femme, survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse.
«Les décès maternels fréquents dans nos localités sont classés en deux groupes : le décès obstétrical direct est celui qui résulte de complications, d’interventions et d’omissions d’un traitement; et le décès obstétrical indirect résultant d’une maladie ou d’une infection apparue au cours de la grossesse», souligne-t-elle.
Selon la soeur Bassène, toutes les femmes enceintes ne viennent pas faire des consultations prénatales au dispensaire. «Il est vrai qu’on n’a pas assez de moyens, mais les femmes enceintes préfèrent être consultées par la vieille accoucheuse traditionnelle du quartier», déplore-t-elle. «Mais, lorsqu’il y a des complications, on nous les amène; le plus souvent, ces femmes sont déjà fatiguées : dans ce cas, il nous est difficile de les sauver».
Aissatou Touré, accoucheuse traditionnelle à Bandafassi, ne reconnaît pas la responsabilité des accoucheuses traditionnelles lorsqu’il y a des complications de grossesse. Selon elle, une accoucheuse traditionnelle ne fait qu’orienter une femme enceinte pour qu’elle puisse accoucher sans difficulté.
«Moi, quand j’examine une femme enceinte, c’est pour qu’elle accouche paisiblement. Je guide cette femme dans les positions à prendre dans son état. Je n’interdis pas aux femmes enceintes d’aller faire des visites prénatales. Ce que je fais est un plus, c’est quelque chose que j’ai acquis de ma mère, c’est tout», se défend-t-elle.
Alioune Diatta, qui vient de perdre sa femme au cours d’un accouchement à Ziguinchor, estime que les femmes enceintes ne refusent jamais d’aller aux consultations prénatales, mais que ce sont les hôpitaux qui ne sont pas bien équipés.
«Ma femme a effectué toutes les consultations prénatales. Regardez le carnet de consultation. L’hôpital de Ziguinchor n’est pas bien équipé, parfois, on vous dit que la gynécologue est absente, elle est seule, parfois, elle est débordée. Même si on vous prescrit des produits, il faut faire plus de 500 kilomètres, aller à Dakar avant de trouver ça. Pendant ce temps, ta femme souffre. L’Etat ne fait pas d’effort», explique Diatta, les larmes aux yeux.
Pour sa part, Jean-Pierre Mendy, secrétaire du Comité de développement de Niakhar (sud du pays), incrimine plutôt le mauvais état des routes. Selon lui, les routes ne sont pas bonnes pour évacuer les femmes enceintes vers les centres de santé les plus proches.
«D’abord, pour évacuer une femme vers un centre de santé, le plus souvent, c’est l’âne qui sert de moyen de transport. Même pour acheminer une malade vers Dakar (la capitale sénégalaise, au nord), l’état de la route n’est pas bon. C’est comme si notre communauté ne fait pas partie du Sénégal. Tout est délabré», dit-il, un peu amer.
De son côté, Abdoulaye Mané, professeur des sciences de la vie et de la terre au lycée de Ziguinchor, pense plutôt que la mort fréquente des femmes, lors de l’accouchement dans le sud du Sénégal, est due au fait que celles-ci sont trop jeunes.
«Dans nos établissements, les filles de 13 à 15 ans abandonnent les bancs pour cause de grossesse. Le corps n’est pas encore apte pour supporter le poids de l’enfant et surtout, le bassin n’est pas développé pour que l’enfant sorte tranquillement», explique Mané à IPS. «Les parents doivent plutôt discuter avec leurs filles, c’est important. Cette année, 15 filles de 13 à 17 ans, dans notre établissement, ont été engrossées, dont quatre sont décédées pendant le travail. C’est inadmissible», déplore-t-il.
Le représentant du ministre de la Santé à Ziguinchor, Alioune Thiam, affirme que c’est pour relever le défi de la mortalité maternelle que le gouvernement a lancé l’initiative «Badjénou Gokh» (en Wolof, qui signifie « la tante conseillère principale »). Elle consiste à confier une femme enceinte à une assistante censée jouer un rôle de facilitation dans sa prise en charge médicale, et à mieux informer les femmes sur l’utilisation des contraceptifs.
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