Quel que soit le quartier, quelle que soit la ville, la scène, qui s’offre aux yeux, est presque toujours la même : au coin d’un immeuble ou à l’angle d’une rue isolée, de jeunes adolescents, à peine sortis de l’enfance, le visage enfoui dans un mouchoir, semblent être totalement absorbés par quelque chose.
Le mouvement des corps qui se mettent par la suite à se dandiner d’un côté à l’autre, le regard absent et quasiment insoutenable qui devient le leur, ne laissent aucun doute sur la nature de ce qui semble être, a priori, un simple jeu d’enfant. Ce n’en est pourtant pas un. Certes, les ingrédients – de la colle, du vernis, ou un dérivé de pétrole Â- sont a priori inoffensifs. A priori, car utilisés fréquemment, ce qui est presque toujours le cas, ils deviennent dangereux, voire destructeurs de la santé. Des jeunes, dont l’âge ne dépasse pas souvent les dix ans, se mettent ainsi et sans le savoir à l’école de la délinquance et de la marginalisation.
La question est assez importante, en tout cas, pour que l’Association tunisienne de la prévention de la toxicomanie, décide de la prendre au sérieux et de lui réserver au cours de l’été passé, un séminaire à Sfax (2 juillet : La prévention de la dépendance aux solvants organiques chez l’enfant et l’adolescent). L’association qui a eu le mérite de réunir, aussi bien des médecins que des universitaires spécialistes en sciences humaines, sociales et juridiques, s’est appuyée dans ses travaux sur une enquête effectuée par le Dr Chakroun de l’Institut de la santé, de la sécurité et du travail.
L’échantillon est de 44 jeunes dont l’âge se situe entre 11et 23ans. Ils sont tous soupçonnés de pratiquer l’inhalation de colle solvante. Les résultats de cette enquête ne laissent aucun doute quant à l’impact sur la santé des jeunes, d’une part, sur le nombre sans cesse grandissant des candidats à l’inhalation, d’autre part. Sur la santé d’abord, et contrairement aux préjugés sociaux qui dénient tout danger à cette pratique, il a été prouvé que les produits inhalés contiennent des composés pouvant causer la dépression du système nerveux central et le dysfonctionnement cardiaque.
Sur le nombre des jeunes ensuite, dont la progression est nette comme l’a indiqué le Pr ML Masmoudi du CHU Hédi Chaker de Sfax qui a ajouté que c’en est même devenu «un problème de santé publique». Et pourtant, et en dehors peut-être des parents dont les enfants sont accros à la colle ou à tout autre solvant, la question reste taboue. On en parle peu et cela semble convenir à tout le monde. Aux jeunes victimes d’abord qui, à la recherche de sensations fortes, oublient le danger qui les guette. «Je sniffe et je m’envole !» dira A.M, un jeune de 11ans qui a été amené à l’inhalation par un copain de rue. Aux parents qui, par exorcisme ou tout simplement lassitude, ignorent la question, aux éducateurs ensuite, dont l’image de marque, la leur, leur renvoie des visages perdants avant d’avoir engagé la bataille.
Au tableau enfin, des centres de désintoxication, tel que celui de Djebel El Oust dont la qualité des soins n’est pourtant plus à prouver, mais qui, par manque peut-être ou insuffisance de personnel, n’ont jamais pu répondre en temps opportun à l’appel de toutes les jeunes victimes. Alors pour emprunter ces mots à Serge Zombeck, psychiatre de renommée et directeur du CHU Saint Pierre de Bruxelles, invité au séminaire précité, «nous avons pourtant, la responsabilité de leur donner, collectivement et individuellement, le plus de moyens possibles pour trouver un sens à leur vie, pour affronter les nombreuses difficultés de la vie moderne, pour les soutenir lorsqu’ils rencontrent des difficultés, et lorsqu’ils subissent des traumatismes».
