Elle se frotte sans doute les mains, mais Trafigura qui dit être parvenue à un autre accord avec ses interlocuteurs ivoiriens, est toujours enlisée dans les déchets toxiques déversés par elle dans des décharges à ciel ouvert à Abidjan il y a trois ans. En effet, les ennuis judiciaires de la multinationale sont loin d’être terminés car l’accord d’indemnisation ne concerne qu’environ un tiers des 108 000 victimes. Au total, 31 000 personnes avaient engagé au niveau des tribunaux britanniques un procès devant se dérouler très prochainement.
Pour la deuxième fois donc, Trafigura réussit à éviter le banc des accusés. En 2007, elle était parvenue à conclure un accord avec le gouvernement ivoirien. La société avait dû payer 100 milliards de F CFA en échange de l’abandon de toute poursuite en Côte d’Ivoire. Le récent accord montre que l’on pourrait aller de rebondissements en rebondissements dans cette affaire. Il faut compter avec l’apparition progressive de nouveaux acteurs dans le traitement du dossier. Cela, d’autant qu’il n’est pas certain que les clauses soient bien connues des victimes auxquelles l’on fait parfois signer n’importe quoi. En acceptant d’empocher les sous, ce contingent des victimes du Probo Koala ne pourra plus intenter une action en justice contre l’affréteur du navire.
L’évolution de ce dossier témoigne d’une réelle insatisfaction. D’une part, les victimes se sentant flouées, engagent procès sur procès. D’autre part, la multinationale qui espère chaque fois en avoir vraiment fini, se retrouve à nouveau interpellée. Trafigura aura pourtant déployé bien des efforts pour surmonter la crise : batterie d’avocats, spécialistes de la recherche scientifique, etc., auront tout fait, allant parfois jusqu’à nier l’évidence. Il faudra pourtant débourser encore et certainement une prochaine fois car ce n’est guère fini. La société, qui tient à défendre sa crédibilité, devra se résoudre à répondre de ses actes devant le tribunal de l’histoire. Ceci, à l’instar de toutes ces multinationales qui aiment à profiter de la mal gouvernance qui caractérise la gestion des Etats africains, et à abuser de la naïveté et de l’ignorance de citoyens sous informés et en apparence sans défense.
Depuis sa naissance, cet accord, s’il en est, donne le sentiment d’avoir été mal négocié. D’abord, on note de sérieuses divergences entre l’Etat ivoirien et ses citoyens victimes d’actes répréhensibles, occasionnés par des délinquants à col blanc. Selon toute vraisemblance, l’Etat semble avoir choisi de défendre ses propres intérêts et non ceux de ses contribuables touchés par la forfaiture. Il semble avoir opté de les abandonner à leur triste sort, une fois empochés les milliards malodorants.
Ensuite, les Ivoiriens sont partis en bandes dispersées. Le problème semble même se complexifier avec l’apparition de nouvelles fissures dans les rangs des victimes. Ainsi, alors que les uns se sont empressés d’empocher les sous proposés au premier tournant de l’histoire, les autres ont choisi de poursuivre les fauteurs en eaux troubles. C’est le propre de nos sociétés où il existe différentes classes de citoyens : celles composées d’indigents, d’analphabètes et de gens mal informés et mal encadrés ; mais aussi celles de personnes éclairées et avisées face à certaines situations. Et pourtant, la preuve, encore une fois, a été donnée aux incrédules : la lutte finit toujours par payer. Ceux qui ont bondi pour se saisir des premières propositions de sous, auront donc implicitement accepté de se plier aux exigences de la société, laquelle n’a aucun intérêt à voir se multiplier des procès susceptibles d’entacher sa réputation et donc sa crédibilité auprès de l’opinion publique occidentale et singulièrement des bailleurs de fonds. Les multinationales, on le sait, n’ont aucunement intérêt à se faire salir les dossiers au moyen de procès qui sont aussi susceptibles de les ruiner. Mais comment dans nos pays, faire en sorte de démasquer les auteurs et de juger les personnes compromises ? Comment rendre justice aux citoyens victimes de forfaitures tout en évitant de consacrer une quelconque forme d’impunité ?
Dans le cas présent, des questions se posent. Les victimes ont-elles été bien recensées ? Ont-elles été bien informées quant aux tenants et aboutissants des dossiers engagés auprès de la justice nationale ou internationale ? L’Etat qui agit au nom de la communauté, est parfois pris en étau entre les intérêts nationaux et ceux découlant des impératifs internationaux. Il arrive que dans cette atmosphère, le citoyen soit toujours le dindon de la farce. Des avocats internationaux rompus aux taches de sauvegarde des grandes corporations ayant vite raison de l’expertise nationale marquée par le manque patent de ressources.
Des exemples existent qui ont pourtant montré que l’acharnement dans certains cas paie bien. En Afrique du Sud et au Nigeria, les procès engagés contre de grandes corporations ont été salutaires. Il appartient aux Etats africains de disposer d’instruments fiables là où il n’en existe pas. Face à ces nouvelles menaces qui profitent de la cupidité et de l’irresponsabilité des autres, quoi de plus urgent que de conjuguer les efforts au sein de structures régionales pour annihiler ces dangers ?
Pour le cas de la Côte d’Ivoire, sans doute aura-t-il fallu solliciter la contribution d’experts locaux, mais surtout bénéficier du soutien d’amis fort expérimentés du Nord pour disposer de dossiers bien ficelés et adopter des voies de recours appropriées. La reculade de Trafigura incite en tout cas à saluer et encourager ce type de partenariat Nord-Sud. Il reste à s’assurer de la transparence de la gestion des fonds, en particulier les milliards encaissés par l’Etat ivoirien. Celui-ci doit rendre compte de l’utilisation de cette somme colossale qui doit constamment rappeler à l’esprit les souffrances et l’agonie des victimes des déchets toxiques. Il faut sur ce plan acculer les gouvernants ivoiriens car c’est le propre des dirigeants du continent de ne jamais rendre compte au contribuable.
L’Etat ivoirien qui a encaissé des milliards, doit lui-même se trouver aujourd’hui dans l’embarras. A deux pas de l’élection présidentielle, le régime du président Gbagbo pourra difficilement demeurer sourd aux appels de détresse des victimes des déchets toxiques. Pendant combien de temps pourra-t-il garder les bras croisés devant leurs initiatives ?