Enquête Drogue – Insécurité – Prostitution –Insalubrité, Dans l΄enfer des bidonvilles d΄Abidjan

20 septembre 200723min6210

Abidjan, la perle des lagunes, est la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Impressionnante, elle l’est surtout pour l’Ivoirien ou tout visiteur qui met les pieds pour la première fois dans cette métropole de près de 5 millions d’habitants. Ses larges avenues, ses gratte-ciel et ses villas de luxe, lui donnent l’allure des grandes villes du monde. Mais il faut parcourir les quartiers populaires pour découvrir une autre facette, disons, la face hideuse d’Abidjan. Adjamé, Attécoubé, Yopougon, Treichville, Port-Bouët, Koumassi, Cocody quelques communes de cette grande ville, étalent ainsi à flancs de collines des bidonvilles. Chacun avec sa particularité, ses réalités et sa configuration. Eau, électricité, voirie et équipements sanitaires et scolaires sont presqu’inexistants. Les populations sont livrées à elles-mêmes, et certaines données estiment à 1032000 le nombre de personnes qui vivent dans ces quartiers sous-intégrés, soit 53% de la population abidjanaise. Des chiffres qui font peur quand on sait que cette étude réalisée par le ministère de la Construction et de l’Urbanisme date de 1992 et qu’elle n’est pas actualisée… La plupart de ces bidonvilles tous surpeuplés, sont composés de constructions ad hoc faites de planches de bois et de bâches de plastique. Ces quartiers sont habités majoritairement par un mélange d’Ivoiriens, d’immigrés ouest-africains et d’Afrique centrale (RDC, Congo, Camerounais) ainsi que de réfugiés Sierra-Leonais et Libériens. Ces immigrés vivent en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années si ce n’est des générations, si l’on en croit un rapport de Human Rights Watch, publié en 2003.


« Colombie » : lieu de transit pour les bandits


Il est huit heures, ce 18 août 2007. Nous sommes à « Colombie », un bidonville situé dans la commune de Cocody, plus précisément entre le Zoo d’Abidjan et les Deux-Plateaux. Un rassemblement attire notre attention : des femmes, cuvettes sur la tête, font le rang pour se ravitailler en eau potable au seul point installé par la Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire (SODECI) depuis mars 2007. Aucune habitation ne possède de compteur domestique. Idem pour l’électricité. Alors qu’à quelques mètres seulement, c’est l’abondance dans le quartier résidentiel. Assis dernière un bureau de fortune, Bégui Gnahoré, la quarantaine au moins, suit de très près les mouvements des femmes. C’est lui le Monsieur Sécurité du quartier, parce que gérant un comité d’auto-défense. A la tête d’une quinzaine de jeunes gens, Bégui a en charge la sécurité des biens et des personnes, de jour comme de nuit. Un dispositif dissuasif pour permettre aux populations de vivre dans la quiétude, malgré la précarité de leurs conditions de vie. Dans les fichiers de la police nationale, Colombie est présenté comme l’un des bastions de la pègre abidjanaise. Et Bégui ne le nie pas. « On nous accusait de servir de refuge aux voleurs. C’est pourquoi nous nous sommes organisés pour sécuriser le quartier », explique-t-il, avec beaucoup de satisfaction. « Ce quartier, poursuit-il, est en fait un lieu de transit pour les bandits. Le manque d’éclairage public leur est très favorable, une fois la nuit tombée. Lorsqu’ils commettent des vols aux Deux-Plateaux ou ailleurs à Cocody, ils se dirigent vers Colombie pour pouvoir échapper à la police ». D’ailleurs, certains habitants révèlent que les bandits formaient un véritable cordon autour de Colombie pour pouvoir agresser les passants. « C’était l’enfer ici », témoigne dame A.B., une des victimes de ces agressions. Détruit en 2002 par les autorité ivoiriennes, Colombie est né de ses cendres, comme une hydre de Lerne. « Certains habitants sont partis ailleurs, mais, nous avons décidé de rester sur place, parce que ne sachant où aller. Nous avons dormi au dehors pendant de nombreux mois. Nous avons par la suite reconstruit nos baraques. Nous avons beaucoup souffert. C’est de-là qu’est venu de nom de Colombie, c’est-à-dire le désespoir de ceux qui étaient délaissés après le déguerpissement », explique Bégui. A Colombie, la terre appartient pourtant aux Ebrié. Pour toute construction de baraques, il faut leur accord, moyennant un apport financier. Mais le manque d’éclairage public menace gravement la sécurité des habitants du quartier. L’école publique la plus proche se trouve à 2 Km du quartier. Une distance qui n’encourage pas certains parents à scolariser leurs enfants, si ce sont ces derniers eux-mêmes qui abandonnent l’école au cours de l’année. « On nous a oubliés », se plaint Bégui. La drogue, on en consomme et on en commercialise dans ce bidonville. La police est toujours aux trousses des dealers. Des fumoirs sont chaque semaine visités et détruits par la police anti-drogue, mais à dire vrai sans grand effet. « Nous sommes délaissés. La seule activité qui s’offre à nous, c’est de vendre la drogue. C’est ici que tout Cocody vient se ravitailler. La police n’y peut rien », a révélé un habitant du quartier, sous couvert de l’anonymat.


1,62 tonne de chanvre indien saisi à Gobelet


26 août : cap sur « Gobelet », un autre bidonville au nom évocateur toujours dans la commune de Cocody, plus précisément entre les quartiers huppés de Deux-Plateaux, Attoban et Riviera II. « Gobelet » du fait de sa forme ovale et creuse, qui rappelle celle du récipient du même nom, est un quartier précaire situé dans un ravin. Aucune voie d’accès. Seuls quelques couloirs entre les baraques servent de passage aux habitants qui vivent dans une puanteur totale. Un égout à ciel ouvert à proximité duquel des commerçants sont installés, traverse ce ravin. Bien que les habitants de Gobelet bénéficient de l’eau courante et de l’électricité, leur distribution se fait par des revendeurs, en toute illégalité. Gobelet rime également avec la drogue. Pour preuve, c’est dans ce bidonville qu’a été saisie, le 5 septembre dernier, une importante quantité de drogue estimée à 1,62 tonne de chanvre indien. Cette grosse prise opérée par des éléments de la douane lève un coin de voile sur le danger réel que représentent la plupart des bidonvilles d’Abidjan. « Chaque nuit, une espèce d’odeur acre envahit tous les couloirs. On me dit que c’est l’odeur de la drogue. Mais moi, je n’en sais rien du tout », témoigne Ouédraogo A., la vingtaine révolue, de nationalité burkinabé. Les langues se délient difficilement d’ailleurs sur l’existence de ce phénomène délictueux. « La police fait beaucoup d’incursions ici à cause des étrangers qui n’ont pas de pièces d’identité », affirme Traoré Mamadou, chef d’un sous quartier de Gobelet. Si les normes en matière d’urbanisme étaient respectées en Côte d’Ivoire, ce quartier précaire n’existerait pas, parce que « Gobelet est un domaine d’Etat considéré comme un lot de déverse ». Malgré la pression des autorités ivoiriennes, les habitants sont restés sur place, après leur déguerpissement de l’espace qu’occupent les locaux de l’Ecole nationale de police. « Nous ne pouvons plus aller quelque part », soutient un chef béninois. Une personne dont tous les enfants sont nés à Gobelet. « Mes enfants ne vont pas à l’école parce qu’il n’y en a pas », poursuit-il. « Ici, c’est plutôt l’école buissonnière », confirme M. Traoré.


Treichville : pas d’école pour les enfants Dans la commune de Treichville, la réalité est tout autre. Les populations d’un bidonville nommé Kouassi-Le-Noir ou Hino(l’appellation la plus connue) sont confrontées à deux problèmes majeurs : l’éducation et la santé. Créé dans les années 70 par des pêcheurs ghanéens, ce quartier de près de 6300 habitants, construit entre le canal de Vridi et la lagune ébrié, occupe un domaine dont de nombreuses entreprises réclament la paternité. Une précarité qui hante beaucoup la population. « A tout moment, on peut nous chasser », s’inquiète Boni Cyriaque, président du Conseil de gestion du quartier depuis 1999. « Au lendemain de la crise de 2002, il avait été question de détruire ce quartier précaire. Mais nous nous sommes opposés. Mais il faut aujourd’hui passer à une autre phase. Après concertation avec les populations, nous devons déterminer la vocation de ce quartier et nous donner les moyens pour le refaire complètement », explique M. Amichia François, maire de cette commune. Les habitants de Hino vivent un véritable calvaire. Les toilettes sont constituées de baraques en bois construites sur la lagune. Une eau qui sert également à faire la lessive, la vaisselle, et peut être la cuisine. L’absence d’école publique et de centre de santé créé beaucoup de désagréments aux populations. Certains habitants rencontrés soutiennent d’ailleurs que la majorité des enfants ne vont pas à l’école, et que les femmes enceintes n’arrivent pas non plus à suivre les soins prénataux. Bien que le Centre hospitalier universitaire(CHU) soit situé à moins d’un kilomètre de leur lieu d’habitation, la cherté des soins exclut d’office les habitants de ce quartier majoritairement démunis. « Quel sera l’avenir pour tous ces enfants qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école ? Ils seront tous des délinquants », s’inquiète le président du Conseil de gestion dudit quartier. « Le maire est vraiment impuissant parce que cet espace n’appartient pas à la commune. Il ne peut donc rien entreprendre », avoue M. Boni. Toutefois, les habitants de Hino bénéficient chaque année d’un soutien financier de la municipalité pour la scolarisation des enfants. En effet, la mairie alloue une enveloppe de un million de francs CFA pour la prise en charge scolaire des élèves. « C’est un véritable soulagement parce que nous souffrons dans ce quartier. Mais ce serait encore plus satisfaisant si les autorités acceptaient de doter ce quartier d’une école publique », déclare Boni Cyriaque. A Hino, la plupart des habitants travaillent au port d’Abidjan situé dans la même commune. « Ce que nous percevons ne peut pas nous permettre d’habiter loin de notre lieu de travail. C’est ce qui explique notre présence dans ce quartier qui ressemble beaucoup plus à un campement », nous dit A. Michel, docker au port depuis une vingtaine d’années.


Fréquence des conflits fonciers


Si les habitants de Hino vivent dans la psychose d’un éventuel déguerpissement, ce n’est plus le cas pour ceux de Grand Campement et Zoé Brunot, deux quartiers de la commune de Koumassi. Ici, tout est viabilisé. Pour ce qui est de Zoé Brunot, les baraques sont de plus en plus rares. Et certains habitants témoignent que l’insécurité a commencé à reculer. « L’électrification du quartier, ainsi que la disparition des taudis moins chers ont fait partir tous ces voyous qui avaient trouvé refuge ici », se soulage dame Marcelline. Ce site autrefois marécageux devient de plus en plus habitable. Sur 550 propriétaires de lots, 332 personnes ont effectivement reçu leurs lettres d’attribution. « Il nous faut donc repousser la lagune pour pouvoir satisfaire tous les besoins », nous explique Aka Nianzouki, président du Comité d’appui à la restructuration(CAR) du quartier Zoé Brunot. Une opération qui a effectivement débuté pour s’interrompre quelques mois plus tard à cause des divergences entre les habitants et un promoteur. Aujourd’hui, les membres du bureau et une frange de la population sont à couteaux tirés sur fond de litiges fonciers. En témoigne la bagarre qui a éclaté entre le président du CAR et Sana Salif, de nationalité burkinabé, au lendemain de notre passage. Las d’attendre, ce dernier réclamait ses 200 mille francs, (200.000 F Cfa) une somme initialement versée pour être propriétaire d’un lot. « Il n’est pas le seul dans cette situation. Les gens pensent que nous avons détourné leur argent. En réalité, il n’y a plus d’espace disponible », se défend M. Aka Nianzouki.


Prostitution : source d’insécurité


Les bidonvilles d’Abidjan sont généralement des destinations privilégiées pour les prostituées. Et le quartier Yaoséhi, dans la commune de Yopougon, a une très forte réputation dans ce domaine. Pour nous en convaincre, nous y avons passé près de trois heures, un samedi nuit. A l’entrée principale de ce bidonville, on trouve un lieu de gastronomie à ciel ouvert, avec tous les risques de contamination. Juste à côté, un hôtel au devant duquel de jeunes filles vêtues de mini-jupes, n’hésitent pas à héler tout passant. « Ces filles que vous voyez sont des Ivoiriennes. Une fois la nuit tombée, elles envahissent ce quartier où elles livrent en cachette leur corps pour de l’argent. Et leur présence attire beaucoup les bandits. Nous sommes vraiment en insécurité », affirme K. N. Claver, étudiant en maîtrise de géographie, à l’université de Cocody. « Quelquefois, ces prostituées agressent et dépouillent leurs clients avec la complicité des bandits à qui elles servent d’indicateurs »,précise-t-il. D’ailleurs la forte présence de groupes de jeunes garçons tapis dans la pénombre autour des hôtels de fortune, conforte cette hypothèse. En entrant beaucoup plus en profondeur dans le quartier, l’on peut apercevoir que d’autres prostituées aux accents anglophone et autres patois de la sous-région, défilent dans des couloirs à la recherche d’un éventuel client. « Ce sont des Nigérianes, et elles travaillent pour des femmes à qui elles donnent une partie de l’argent qu’elles engrangent », révèle une source anonyme. Et le témoignage de l’une d’entre elles, confirme l’existence d’un réseau de proxénètes bien organisé : « On m’a proposée depuis le Nigéria de me faire partir aux Etats-Unis une fois arrivée en Côte d’Ivoire. Mais depuis, je suis ici ». Son regard lointain après ses propos, achève de convaincre sur la trop grande désillusion qu’elle vient de vivre et qui l’a fait échouer dans un bidonville ivoirien.


A qui la faute ?


« Le phénomène des bidonvilles est une véritable pathologie urbaine », juge M. Diakité Oumarou, urbaniste aménageur, chef de mission au Bureau National d’étude technique et de développement(BNETD). « C’est parce qu’on n’a pas été capable de donner du logement à la fois décent et à la hauteur de la bourse de certaines populations que les bidonvilles se sont développés à Abidjan », soutient-il. « Mais le meilleur médicament, c’est la prévention. Il faut prendre toutes les dispositions pour que la ville soit mieux organisée. Il faut aussi que Abidjan ne devienne plus la seule destination des populations », propose-t-il. Pour solutionner le problème des quartiers précaires, la Banque Mondiale avait mené une politique de rénovation. Cela consistait à détruire les bidonvilles pour ensuite moderniser les habitations. L’échec de cette politique d’éradication de l’habitat insalubre a débouché sur une autre opération dite de restructuration. Il fallait donc maintenir les populations sur place, mais en leur apportant le minimum d’équipements pour leur bien-être. C’est d’ailleurs l’avis de M. Amichia François, président du Forum ivoirien pour la sécurité urbaine(FISU). « A long terme, il va falloir supprimer ces quartiers précaires et créer un cadre de vie idéal pour nos populations », estime le maire de la commune de Treichville. « Le problème devrait être résolu en amont au lieu d’être résolu en aval. Il faut faire de la planification en matière d’urbanisation », tranche M. Diakité Oumarou. En se réunissant du 12 au 13 septembre dernier à Abidjan autour du thème « Maires et secteur privé, partenaire pour la prévention de l’insécurité », les maires de Côte d’Ivoire entendaient ainsi impliquer les opérateurs économiques exerçant sur leurs territoires communaux dans la lutte contre la criminalité et la délinquance. Même si au cours de ce forum, la question des quartiers précaires très souvent source d’insécurité n’a pas été directement abordée, n’empêche qu’à l’ouverture des travaux, M. André Carvalho, directeur pays du PNUD Côte d’Ivoire a été très clair : « Pour sortir du cercle de l’insécurité au plan local, il faut des mesures qui favorisent le développement humain, notamment par l’accès à des emplois stables, à l’éducation et aux services sociaux », a-t-il préconisé. La grande pauvreté qui frappe certains populations serait donc la raison qui les pousse à s’agglomérer dans des espaces précaires et insalubres. Cette urbanisation aux allures de cauchemar décrite dans le livre justement intitulé « Le Pire des mondes possibles » par le chercheur américain Mike Davis n’a pas manqué à son auteur de donner pour titre à l’un de ses chapitres « Vivre dans la merde », comme pour mieux brosser avec beaucoup de réalisme les conditions de vie épouvantables des bidonvillois surtout ceux vivant dans la capitale ivoirienne meurtrie par cinq années de guerre.


source: L’Inter

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