La transmission du VIH par le sang dans le cadre de pratiques de santé dangereuses a été sous-estimée dans l’épidémie de VIH/SIDA qui sévit en Afrique subsaharienne, selon plusieurs chercheurs et épidémiologistes.
Dans le numéro de décembre de l’International Journal of STD (MST, ou maladies transmises sexuellement) and AIDS (IJSA), ceux-ci affirment que l’opportunisme politique a motivé les gouvernements africains et les bailleurs de fonds internationaux à minimiser délibérément l’importance des infections transmises par le sang. Il était en effet plus facile de blâmer certains individus et certaines pratiques sexuelles que de prendre ses responsabilités pour assurer des soins de santé plus sûrs.
Une étude réalisée sur des enfants Swazi séropositifs âgés de 2 à 12 ans et basée sur des données tirées de l’enquête démographique et de santé du Swaziland (Swaziland Demographic and Health Survey) pour 2006-2007 a découvert qu’au sein de l’échantillon, un enfant sur cinq avait une mère séronégative.
Écartant la possibilité que des abus sexuels sur les enfants puissent être à l’origine d’une telle quantité d’infections, les auteurs ont évoqué la possibilité que les aiguilles contaminées utilisées pour administrer des vaccins et des injections soient responsables de ces infections.
L’argument a été renforcé par une étude kenyane qui met en évidence que les enfants séropositifs dont la mère est séronégative ont été plus exposés à la contamination par le sang que leurs frères et sà « urs séronégatifs dans le cadre de traitements contre le paludisme, de chirurgies dentaires et de vaccinations.
L’étude a soulevé un tollé au Swaziland. L’Association des infirmières du Swaziland a démenti avec virulence l’usage multiple des aiguilles et qualifié les résultats de la recherche de « bêtises », selon ce qu’a rapporté un journal local.
Selon une autre étude, publiée dans le journal de la British Association of Sexual Health and HIV (Association britannique pour la santé sexuelle et le VIH), les patients qui se rendaient sur une base volontaire dans les centres de dépistage et de conseil gérés par le centre hospitalier de l’université de Calabar, dans le sud-est du Nigeria, et qui ont contracté le VIH avaient été plus souvent soumis à des tests sanguins, des vaccinations, des transfusions ou des interventions chirurgicales que ceux qui n’ont pas contracté la maladie.
Dans leurs articles sur les injections dangereuses, le professeur Anton van Niekerk, du Centre de recherche en physique appliquée de l’université de Stellenbosch, et ses co-auteurs font remarquer que l’Afrique du Sud est l’un des rares pays de la région qui n’exige pas l’emploi de seringues non-réutilisables pour l’administration de vaccins.
Ils citent des rapports récents qui indiquent des lacunes répandues dans le contrôle des infections, notamment dans les cliniques dentaires publiques et les services de pédiatrie et de maternité. Ils font également remarquer que plus d’un quart des individus classés dans la catégorie « récemment infecté par le VIH » lors d’une enquête nationale de prévalence du VIH réalisée en 2005 affirmaient ne pas avoir été sexuellement actifs dans les derniers 12 mois.
Selon les auteurs, si ces résultats avaient été obtenus dans un pays industrialisé, ils n’auraient pas été écartés sous prétexte que les répondants peuvent mentir au sujet de leur vie sexuelle, et auraient même entraîné une enquête plus approfondie.
Surestimation de la transmission sexuelle
S’exprimant sur ces études, Moritz Hunsmann, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, écrit que « le comportement sexuel n’est qu’un aspect de la question, et qu’il ne suffit certainement pas à expliquer les dynamiques de la propagation de l’épidémie de VIH en Afrique subsaharienne ».
Il reconnaît que les rapports sexuels sont probablement le principal mode de transmission du VIH en Afrique subsaharienne et que les stratégies visant à encourager le changement de comportement devraient jouer un rôle important dans les politiques de prévention. Il estime toutefois que la « fixation » sur la transmission sexuelle occulte les besoins en termes d’amélioration du dépistage sanguin et de stérilisation des instruments, et permet aux autorités de santé publique de ne pas être tenues responsables.
Selon M. Hunsmann, les autorités ont des raisons politiques de cacher au public l’ampleur des infections au VIH transmises par le sang. « Les leaders africains ne veulent pas que leurs peuples meurent du SIDA, il n’y aucun doute là-dessus. Mais jusqu’à quel point ceux qui détiennent actuellement le pouvoir sont-ils prêts à accepter des changements fondamentaux dans l’allocation des ressources politiques et économiques afin de s’attaquer efficacement aux facteurs structurels de l’épidémie ? »
Le professeur David Gisselquist, consultant indépendant en matière de santé et d’économie, va encore plus loin dans son article sur la politique du « deux poids, deux mesures » – pour les pays pauvres et les pays riches – en matière d’éthique de la recherche sur le VIH, de sécurité des soins de santé et d’études scientifiques. Il prétend que « la rétention de preuves démontrant… [la réalité des infections au VIH contractées à l’hôpital] en Afrique est à la fois commune et largement acceptée par les chercheurs du domaine ».
Le Dr François Venter, directeur de la Southern African HIV Clinicians Society, n’est guère convaincu. « Il existe de nombreuses autres facteurs [pour expliquer l’épidémie de VIH en Afrique subsaharienne] qui n’ont pas été prouvés ou réfutés », a-t-il dit à IRIN/PlusNews. « Cela soulève des questions intéressantes, mais je ne pense pas qu’il y ait eu assez de recherches là-dessus, et ce n’est pas en criant à la conspiration qu’on fait avancer la science ».
M. Venter fait remarquer que les pratiques dangereuses en matière d’injection n’expliquent pas, par exemple, pourquoi des pays relativement riches comme le Botswana et l’Afrique du Sud font face à des épidémies de VIH plus graves que d’autres pays moins riches de la région.